02 avril 2022

Les prix flambent mais toujours pas d’indexation des salaires et des retraites sur le taux d’inflation !

Taux d'inflation

Tirée par la hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation, l'inflation en France vient de franchir la barre des 4% sur un an.

Outre la hausse des prix des produits pétroliers liée notamment à la guerre en Ukraine, l'Insee observe, selon sa dernière estimation, une nette croissance du prix des produits manufacturés et alimentaires... 


De mars 2021 à mars 2022, les prix à la consommation ont augmenté de 4,5%. Entre les mois de février et mars 2022, l'indice des prix a grimpé de 1,4%, après une hausse de 0,8% entre janvier et février.

Dans ces conditions, les Français ont de plus en plus de difficultés pour boucler leurs fins de mois et payer les factures d’électricité, de gaz, d’eau, etc. De plus en plus de salariés économisent sur la pause-déjeuner en n’allant plus déjeuner tous les midis au restaurant, y compris le restaurant d'entreprise. C'est le grand retour de la gamelle et de la cuisine fait-maison.  

Si la hausse du revenu des ménages est toujours officiellement légèrement positive, c’est parce qu’elle concerne le revenu moyen des ménages qui n’est qu’une simple moyenne mathématique ne correspondant à aucune réalité socioprofessionnelle.

Cette situation est encore aggravée par un indice des prix calculé par l’INSEE, datant de 1946 et qui est loin de refléter la réalité quotidienne car la mesure de l’inflation ne concerne que les prix à la consommation. Cet Indice n’a jamais intégré par exemple l’augmentation des prix camouflée par les « arrondis » opérés nettement à la hausse après le passage à l’euro ou l’augmentation de prix d’un produit nouveau identique à l'ancien mais présenté sous une autre forme.

Que fait le gouvernement ?

Face à l’envolée de la hausse des prix, le gouvernement se contente de petits gestes, avant tout électoralistes, comme l'indemnité inflation de 100 euros versée à tous ceux qui touchent moins de 2000 euros nets par mois ou la remise de 18 centimes sur le prix des carburants du 1er avril au 1er juillet 2022 qui ne répondent pas aux racines du problème dune inflation galopante.

Dans la fonction publique par exemple, alors que la valeur du point d'indice doit être normalement revalorisée tous les ans lors de négociations salariales entre le gouvernement et les syndicats, le pouvoir d’achat des fonctionnaires a été laminé par le gel du point d'indice. Il n’a pas été rattrapé par sa hausse de 0,5 % en 2009 ni celle de 1,2 % en deux fois (0,6% en juillet 2016 et 0,6% en janvier 2017). De janvier 1994 à juillet 2016, le point d'indice a progressé de 19,4 % alors que l'inflation sur la même période progressait de 39,15 %. Pour un débutant dans la fonction publique, à grille indiciaire identique, cela représente une perte de revenu de 20 % !

Il en est de même pour les salariés du secteur privé. Une perte de 1,4% est attendue au premier trimestre 2022, par rapport au trimestre précédent. On n’avait pas vu un pareil recul depuis 2012 et la crise de la zone euro. Dans de nombreuses branches professionnelles, le salaire d’embauche est souvent inférieur au SMIC. Une prime dite « résorbable » est alors versée aux salariés concernés mais sans toucher aux revenus supérieurs au SMIC, cette pratique est responsable d’un tassement continu des salaires vers le bas dans de plus en plus de branches professionnelles !

La perte de pouvoir d'achat touche également les bénéficiaires de prestations diverses (pensions de vieillesse ou d’invalidité, retraites complémentaires, allocations chômage, allocations familiales, allocations logement, etc.) versées par des organismes qui utilisent des mécanismes d’indexation plus ou moins originaux qui ne tiennent pas compte du taux d'inflation réel ! 

Le nouveau monde promis par Emmanuel Macron se solde ainsi par une situation inédite : une perte de pouvoir d’achat pour tous les salariés et retraités depuis le début de son quinquennat. 

Seule une indexation des salaires et des pensions sur le taux d'inflation peut préserver durablement le pouvoir d’achat   

La régression du pouvoir d’achat des salariés et retraités vient cependant de loin. C’est en effet au début des années 80 que François Mitterrand et son ministre de l'Economie et des Finances, Jacques Delors, ont entamé le tournant de la rigueur en supprimant l’indexation automatique des salaires sur le taux d’inflation qui protégeait jusqu'alors les salariés et qui datait de juillet 1952 sous la présidence de Vincent Auriol (SFIO). Ce fut un coup fatal particulièrement dramatique pour 40% d’entre eux déjà victimes du chômage total ou partiel, du temps de travail partiel subi, d’un déménagement pour cause professionnelle, etc. 

A cette époque, le gouvernement bloqua dans la Fonction publique les rémunérations qui avaient suivi jusqu’ici l’évolution des prix. Il incita ensuite les employeurs du secteur privé à agir de même. Les clauses d’indexation des rémunérations sur les prix furent ensuite retirées une à une des conventions collectives dans les années qui suivirent. Les lois Auroux réaffirmèrent leur interdiction dans le Code du Travail, article L.141-9 : « sont interdites, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le salaire minimum de croissance ou des références à ce dernier en vue de la fixation et de la révision des salaires prévus par ces conventions ou accords. »

Aujourd'hui, seule une réintroduction de l’échelle mobile des salaires serait  de nature à préserver durablement le niveau de vie de tous les salariés et retraités sans que les syndicats aient à ferrailler chaque année contre les gouvernements successifs ou les organisations patronales.

L’échelle mobile favorise en outre une solidarité entre les travailleurs des secteurs forts et ceux des secteurs faibles ainsi qu’entre les travailleurs actifs et inactifs. Elle est un facteur de stabilité sociale : les négociations salariales peuvent se concentrer sur l’augmentation réelle des salaires. C’est également un facteur de stabilité économique car le maintien du pouvoir d’achat représente un facteur de consommation et donc de croissance économique.

Ce système existe dans plusieurs pays comme la Belgique et le Luxembourg. Il peut revêtir différentes formes (ajustement automatique des salaires à chaque variation de l'indice des prix, ajustement dès que l'indice choisi dépasse un certain seuil, ajustement à périodes fixes en fonction des variations enregistrées, etc.). Il existe également mais sans caractère automatique en Allemagne ou aux Pays-Bas : les syndicats doivent alors négocier pour compenser la perte de pouvoir d’achat subie depuis les négociations précédentes à la suite de l’inflation.

Et contrairement à ce qu’affirment certains pseudo-consultants qui professent à longueur d’année sur les plateaux télé, une réintroduction de l’échelle mobile des salaires, ne nuirait pas au développement économique. Elle ne favoriserait pas non  plus l’inflation car celle-ci est basée sur l’évolution réelle des prix qui s’est déjà produite au cours du ou des mois précédents. Ces " experts économiques " ont tendance à confondre les notions de réelle augmentation des salaires (supérieure au taux d’inflation) et de simple maintien du pouvoir d'achat suite au mécanisme d’indexation (égal au taux d’inflation).

La question du pouvoir d'achat des salariés et retraités est devenu un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle. Emmanuel Macron déclare être favorable à la défense du pouvoir d’achat et promet tantôt l’ouverture de grandes négociations salariales, tantôt des coups de pouce salariaux ou des primes diverses, mais ne propose pas de protéger durablement le pouvoir d’achat des Français en réintroduisant un système d’indexation des salaires et retraites sur le taux d’inflation…


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2 commentaires:

Séraphin Lampion a dit…

En fait, la règle qui prévoit une indexation des pensions de retraite sur l’inflation depuis 1993 est régulièrement mise à mal par une sous-indexation.

En 2019, le gouvernement avait décidé de ne les revaloriser que de 0,3 %, alors que l’inflation s’élevait à 1,8 %. Cela avait permis une économie de 2 à 3 milliards d’euros.

Le Conseil constitutionnel avait refusé la possibilité de prolonger cette sous-indexation en 2020, ce qui a obligé le gouvernement à revenir devant le Parlement et, finalement, Macron avait proposé une sous-indexation seulement pour les pensions supérieures à 2000 € jusqu’en 2021.

Depuis une dizaine d’années, pour rééquilibrer les comptes des systèmes de retraite, les gouvernements successifs cherchent par tous les moyens à limiter cette indexation sur l’inflation. Sous François Hollande, un gel des pensions a été décidé en 2014 et 2016, ce qui est passé presque inaperçu à cause de la faible inflation de ces années-là (respectivement 0,5 % et 0,2 %).

Une autre astuce gouvernementale est de décaler de quelques mois la revalorisation : au 1er avril une année, au 1er octobre l’année suivante, puis au 1er janvier de l’année encore d’après, ce qui permet dans les faits d’économiser une année de revalorisation…

Mais c’est la hausse des prélèvements pesant sur les pensions, et non pas l’indexation, qui explique la majorité de la perte de pouvoir d’achat des retraités, au point que, si leur niveau de vie reste (en moyenne) supérieur à celui des actifs (en moyenne aussi), cela pourrait ne plus être le cas avant 2030.

Eric a dit…

Excellent article. En effet, la ’’désindexation’’ par rapport au SMIC (plus encore que par rapport aux prix) a conduit à ce que les minima conventionnels se sont parfois retrouvés inférieurs au SMIC, si bien que de très nombreux salariés qui avaient pu s’élever légèrement par leur expérience ou efficacité se sont trouvés rattrapés par le minimum, idem des branche où la technicité conduisait à des standards supérieurs. Le blocage du point d’indice des fonctionnaires, les réductions d’alignement des retraites, etc. on conduit à des baisses de pouvoir d’achat qui sont masqués dans les statistiques, qui ne donnent pas l’évolution de pouvoir d’achat ’’à conditions constantes’’ (par exemple pour un prof de 5 ans d’ancienneté).
Typiquement, l’augmentation de salaire au fil de la carrière (incluant les promotions) peut suivre l’inflation, mais il y a un décrochage au moment de la retraite qui ne figure dans aucune statistique. Et par ailleurs il y a souvent une décote à ancienneté comparable.

Donc oui à une réindexation généralisée sur les prix, deux fois l’an si l’inflation atteint ou dépasse 4%. Et sans effet de ’’plafond’’, qui a étrillé les revenus supérieurs à 2000 euros, notamment sur les retraites qui ont subit la hausse de la CSG mais sont exclues de revalorisations, primes ou chèques (oui, ce sont des niais s’ils ont voté Macron). Ne pas s’étonner de la ’’fuite des diplômés’’ dont les revenus stagnent et qui cotisent sans les contreparties instituées à l’origine.